§ Le 18 juin 1815 Les Misérables

Le déclin physique évident de Napoléon se compliquait-il à cette époque d'une certaine diminution intérieure? les vingt ans de guerre avaient-ils usé la lame comme le fourreau, l'âme comme le corps? le vétéran se faisait-il fâcheusement sentir dans le capitaine? en un mot, ce génie, comme beaucoup d'historiens considérables l'ont cru, s'éclipsait-il? entrait-il en frénésie pour se déguiser à lui-même son affaiblissement? commençait-il à osciller sous l'égarement d'un souffle d'aventure? devenait-il, chose grave dans un général, inconscient du péril? dans cette classe de grands hommes matériels qu'on peut appeler les géants de l'action, y a-t-il un âge pour la myopie du génie? La vieillesse n'a pas de prise sur les génies de l'idéal; pour les Dantes et les Michel-Anges, vieillir, c'est croître; pour les Annibals et les Bonapartes, est-ce décroître? Napoléon avait-il perdu le sens direct de la victoire? en était-il à ne plus reconnaître l'écueil, à ne plus deviner le piège, à ne plus discerner le bord croulant des abîmes? manquait-il du flair des catastrophes? lui qui jadis savait toutes les routes du triomphe et qui, du haut de son char d'éclairs, les indiquait d'un doigt souverain, avait-il maintenant cet ahurissement sinistre de mener aux précipices son tumultueux attelage de légions? était-il pris, à quarante-six ans, d'une folie suprême? ce cocher titanique du destin n'était-il plus qu'un immense casse-cou?

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