Une certaine quantité de tempête se mêle toujours à une bataille. Quid obscurum, quid divinum. Chaque historien trace un peu le linéament qui lui plaît dans ces pêle-mêle. Quelle que soit la combinaison des généraux, le choc des masses armées a d'incalculables reflux; dans l'action, les deux plans des deux chefs entrent l'un dans l'autre et se déforment l'un par l'autre. Tel point du champ de bataille dévore plus de combattants que tel autre, comme ces sols plus ou moins spongieux qui boivent plus ou moins vite l'eau qu'on y jette. On est obligé de reverser là plus de soldats qu'on ne voudrait. Dépenses qui sont l'imprévu. La ligne de bataille flotte et serpente comme un fil, les traînées de sang ruissellent illogiquement, les fronts des armées ondoient, les régiments entrant ou sortant font des caps ou des golfes, tous ces écueils remuent continuellement les uns devant les autres; où était l'infanterie, l'artillerie arrive; où était l'artillerie, accourt la cavalerie; les bataillons sont des fumées. Il y avait là quelque chose, cherchez, c'est disparu; les éclaircies se déplacent; les plis sombres avancent et reculent; une sorte de vent du sépulcre pousse, refoule, enfle et disperse ces multitudes tragiques. Qu'est-ce qu'une mêlée? une oscillation. L'immobilité d'un plan mathématique exprime une minute et non une journée. Pour peindre une bataille, il faut de ces puissants peintres qui aient du chaos dans le pinceau; Rembrandt vaut mieux que Van Der Meulen. Van der Meulen, exact à midi, ment à trois heures. La géométrie trompe; l'ouragan seul est vrai. C'est ce qui donne à Folard le droit de contredire Polybe. Ajoutons qu'il y a toujours un certain instant où la bataille dégénère en combat, se particularise, et s'éparpille en d'innombrables faits de détails qui, pour emprunter l'expression de Napoléon lui-même, «appartiennent plutôt à la biographie des régiments qu'à l'histoire de l'armée». L'historien, en ce cas, a le droit évident de résumé. Il ne peut que saisir les contours principaux de la lutte, et il n'est donné à aucun narrateur, si consciencieux qu'il soit, de fixer absolument la forme de ce nuage horrible, qu'on appelle une bataille.
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- Victor Hugo (auteur)