À partir de ce moment, tout fut dit. L'ogre de Corse,—l'usurpateur,—le tyran,—le monstre qui était l'amant de ses soeurs,—l'histrion qui prenait des leçons de Talma,—l'empoisonneur de Jaffa,—le tigre,—Buonaparté,—tout cela s'évanouit, et fit place dans son esprit à un vague et éclatant rayonnement où resplendissait à une hauteur inaccessible le pâle fantôme de marbre de César. L'empereur n'avait été pour son père que le bien-aimé capitaine qu'on admire et pour qui l'on se dévoue; il fut pour Marius quelque chose de plus. Il fut le constructeur prédestiné du groupe français succédant au groupe romain dans la domination de l'univers. Il fut le prodigieux architecte d'un écroulement, le continuateur de Charlemagne, de Louis XI, de Henri IV, de Richelieu, de Louis XIV et du comité de salut public, ayant sans doute ses taches, ses fautes et même son crime, c'est-à-dire étant homme; mais auguste dans ses fautes, brillant dans ses taches, puissant dans son crime. Il fut l'homme prédestiné qui avait forcé toutes les nations à dire:—la grande nation. Il fut mieux encore; il fut l'incarnation même de la France, conquérant l'Europe par l'épée qu'il tenait et le monde par la clarté qu'il jetait. Marius vit en Bonaparte le spectre éblouissant qui se dressera toujours sur la frontière et qui gardera l'avenir. Despote, mais dictateur; despote résultant d'une République et résumant une révolution. Napoléon devint pour lui l'homme-peuple comme Jésus est l'homme-Dieu.
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- Victor Hugo (auteur)