§ Fait prisonnier Les Misérables

Un des derniers jours de la seconde semaine, Marius était comme à son ordinaire assis sur son banc, tenant à la main un livre ouvert dont depuis deux heures il n'avait pas tourné une page. Tout à coup il tressaillit. Un événement se passait à l'extrémité de l'allée. M. Leblanc et sa fille venaient de quitter leur banc, la fille avait pris le bras du père, et tous deux se dirigeaient lentement vers le milieu de l'allée où était Marius. Marius ferma son livre, puis il le rouvrit, puis il s'efforça de lire. Il tremblait. L'auréole venait droit à lui.—Ah! Mon dieu! pensait-il, je n'aurai jamais le temps de prendre une attitude.—Cependant, l'homme à cheveux blancs et la jeune fille s'avançaient. Il lui paraissait que cela durait un siècle et que cela n'était qu'une seconde.—Qu'est-ce qu'ils viennent faire par ici? se demandait-il. Comment! elle va passer là! Ses pieds vont marcher sur ce sable, dans cette allée, à deux pas de moi!—Il était bouleversé, il eût voulu être très beau, il eût voulu avoir la croix! Il entendait s'approcher le bruit doux et mesuré de leurs pas. Il s'imaginait que M. Leblanc lui jetait des regards irrités. Est-ce que ce monsieur va me parler? pensait-il. Il baissa la tête; quand il la releva, ils étaient tout près de lui. La jeune fille passa, et en passant elle le regarda. Elle le regarda fixement, avec une douceur pensive qui fit frissonner Marius de la tête aux pieds. Il lui sembla qu'elle lui reprochait d'avoir été si longtemps sans venir jusqu'à elle et qu'elle lui disait: C'est moi qui viens. Marius resta ébloui devant ces prunelles pleines de rayons et d'abîmes.

Search
Author(s)