L'argot, étant l'idiome de la corruption, se corrompt vite. En outre, comme il cherche toujours à se dérober, sitôt qu'il se sent compris, il se transforme. Au rebours de toute autre végétation, tout rayon de jour y tue ce qu'il touche. Aussi l'argot va-t-il se décomposant et se recomposant sans cesse; travail obscur et rapide qui ne s'arrête jamais. Il fait plus de chemin en dix ans que la langue en dix siècles. Ainsi le larton devient le lartif; le gail devient le gaye; la fertanche, la fertille; le momignard, le momacque; les siques, les frusques; la chique, l'égrugeoir; le colabre, le colas. Le diable est d'abord gahisto, puis le rabouin, puis le boulanger; le prêtre est le ratichon, puis le sanglier; le poignard est le vingt-deux, puis le surin, puis le lingre; les gens de police sont des railles, puis des roussins, puis des rousses, puis des marchands de lacets, puis des coqueurs, puis des cognes; le bourreau est le taule, puis Charlot, puis l'atigeur, puis le becquillard. Au dix-septième siècle, se battre, c'était se donner du tabac; au dix-neuvième, c'est se chiquer la gueule. Vingt locutions différentes ont passé entre ces deux extrêmes. Cartouche parlerait hébreu pour Lacenaire. Tous les mots de cette langue sont perpétuellement en fuite comme les hommes qui les prononcent.
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- Victor Hugo (auteur)