Qu'une société s'abîme au vent qui se déchaîne sur les hommes, cela s'est vu plus d'une fois; l'histoire est pleine de naufrages de peuples et d'empires; moeurs, lois, religions, un beau jour cet inconnu, l'ouragan, passe et emporte tout cela. Les civilisations de l'Inde, de la Chaldée, de la Perse, de l'Assyrie, de l'Égypte, ont disparu l'une après l'autre. Pourquoi? nous l'ignorons. Quelles sont les causes de ces désastres? nous ne le savons pas. Ces sociétés auraient-elles pu être sauvées? y a-t-il de leur faute? se sont-elles obstinées dans quelque vice fatal qui les a perdues? quelle quantité de suicide y a-t-il dans ces morts terribles d'une nation et d'une race? Questions sans réponse. L'ombre couvre ces civilisations condamnées. Elles faisaient eau puisqu'elles s'engloutissent; nous n'avons rien de plus à dire; et c'est avec une sorte d'effarement que nous regardons, au fond de cette mer qu'on appelle le passé, derrière ces vagues colossales, les siècles, sombrer ces immenses navires, Babylone, Ninive, Tarse, Thèbes, Rome, sous le souffle effrayant qui sort de toutes les bouches des ténèbres. Mais ténèbres là, clarté ici. Nous ignorons les maladies des civilisations antiques, nous connaissons les infirmités de la nôtre. Nous avons partout sur elle le droit de lumière; nous contemplons ses beautés et nous mettons à nu ses difformités. Là où est le mal, nous sondons; et, une fois la souffrance constatée, l'étude de la cause mène à la découverte du remède. Notre civilisation, oeuvre de vingt siècles, en est à la fois le monstre et le prodige; elle vaut la peine d'être sauvée. Elle le sera. La soulager, c'est déjà beaucoup; l'éclairer, c'est encore quelque chose. Tous les travaux de la philosophie sociale moderne doivent converger vers ce but. Le penseur aujourd'hui a un grand devoir, ausculter la civilisation.
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- Victor Hugo (auteur)