§ Le vieux coeur et le jeune coeur en présence Les Misérables

—Pitié de vous, monsieur! C'est l'adolescent qui demande de la pitié au vieillard de quatre-vingt-onze ans! Vous entrez dans la vie, j'en sors; vous allez au spectacle, au bal, au café, au billard, vous avez de l'esprit, vous plaisez aux femmes, vous êtes joli garçon; moi je crache en plein été sur mes tisons; vous êtes riche des seules richesses qu'il y ait, moi j'ai toutes les pauvretés de la vieillesse, l'infirmité, l'isolement! vous avez vos trente-deux dents, un bon estomac, l'oeil vif, la force, l'appétit, la santé, la gaîté, une forêt de cheveux noirs; moi je n'ai même plus de cheveux blancs, j'ai perdu mes dents, je perds mes jambes, je perds la mémoire, il y a trois noms de rues que je confonds sans cesse, la rue Charlot, la rue du Chaume et la rue Saint-Claude, j'en suis là; vous avez devant vous tout l'avenir plein de soleil, moi je commence à n'y plus voir goutte, tant j'avance dans la nuit; vous êtes amoureux, Ça va sans dire, moi, je ne suis aimé de personne au monde, et vous me demandez de la pitié! Parbleu, Molière a oublié ceci. Si c'est comme cela que vous plaisantez au palais, messieurs les avocats, je vous fais mon sincère compliment. Vous êtes drôles.

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