§ L'extrême bord Les Misérables

Il songea à cette épée de son père que son aïeul avait vendue à un brocanteur, et qu'il avait, lui, si douloureusement regrettée. Il se dit qu'elle avait bien fait, cette vaillante et chaste épée, de lui échapper et de s'en aller irritée dans les ténèbres; que si elle s'était enfuie ainsi, c'est qu'elle était intelligente et qu'elle prévoyait l'avenir; c'est qu'elle pressentait l'émeute, la guerre des ruisseaux, la guerre des pavés, les fusillades par les soupiraux des caves, les coups donnés et reçus par derrière; c'est que, venant de Marengo et de Friedland, elle ne voulait pas aller rue de la Chanvrerie, c'est qu'après ce qu'elle avait fait avec le père, elle ne voulait pas faire cela avec le fils! Il se dit que si cette épée était là, si, l'ayant recueillie au chevet de son père mort, il avait osé la prendre et l'emporter pour ce combat de nuit entre Français dans un carrefour, à coup sûr elle lui brûlerait les mains et se mettrait à flamboyer devant lui comme l'épée de l'ange! Il se dit qu'il était heureux qu'elle n'y fût pas et qu'elle eût disparu, que cela était bien, que cela était juste, que son aïeul avait été le vrai gardien de la gloire de son père, et qu'il valait mieux que l'épée du colonel eût été criée à l'encan, vendue au fripier, jetée aux ferrailles, que de faire aujourd'hui saigner le flanc de la patrie.

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